Jean-Paul Crucifix : Le football m’apporta la célébrité, mon boulot… la sérénité !
Décidément, il ne fait pas bon prendre la route aux heures de pointe ces derniers temps. Il vaut d’ailleurs mieux remplacer le décapsuleur par le tire-bouchon dans sa voiture.
Après ma mésaventure lundi soir dans les bouchons entre Bassenge et Seraing, mardi soir, ce fut au tour de Jean-Paul d’en faire les frais. La traversée horizontale de Huy étant aussi si pas plus compliquée que d’escalader le célèbre « Mur » à vélo.
Finalement, en cette belle fin d’après-midi chaude et ensoleillée, nous avons conversé pendant plus de deux heures sur une agréable terrasse surélevée à l’ombre d’un parasol…
Une belle et longue carrière qui amena Jean-Paul non seulement à côtoyer les meilleurs mais aussi à beaucoup voyager Incontestablement, le football lui apporta une certaine célébrité mais à aucun moment, hormis deux années de pause-carrière au Standard, il ne voulu jamais lâcher son boulot. Sans aucun doute, les bases de son éducation familiale mais aussi la sagesse de ne jamais lâcher la proie pour l’ombre. Autant l’ascension peut être longue et difficile, autant la chute peut être rapide et parfois funeste…
LA DÉPORTATION DE PAPA RESTERA UNE PLAIE OUVERTE DANS MON CŒUR
Jean-Paul est né le 2 juin 1949 à Huy, dans deux semaines, le jour de notre fête Nostalgie Football Belge, il fêtera ses 69 Printemps. Une année que nous lui souhaitons particulièrement « érotique » pour atteindre les soixante-dix comme disent nos amis français. Vous savez, ceux qui ont troqué la Rose pour le Macaron…
Mais redevenons plus sérieux car le moment devient beaucoup plus grave lorsque Jean-Paul parle de son Papa. Une grosse émotion l’envahit, des larmes s’installent au fond de ses yeux, la voix se fait plus douce, plus grave…
« Mon Papa a été prisonnier de guerre, il a été déporté en Allemagne dans la région de Schweinfurt. Il travaillait dans une ferme pas très loin de l’Usine Kugelfischer, on y fabriquait des roulements à billes pour les canons allemands ! Si bien que lorsque les Américains pilonnaient l’usine, il voyait le feu d’artifice. Mon papa s’y est bien trouvé, il s’est rendu très utile et des liens d’amitié se sont tissés au point que nous y sommes retournés après la fin de la guerre. Nous avons même organisé des échanges familiaux pour apprendre les langues, l’allemand pour nous, le français pour eux. Mais ce fut quand même très dur, au point que pendant de longues années après la guerre, Papa faisait encore de violents cauchemars. Quand il s’est senti mieux, il nous a inculqué la rigueur allemande, la musique et la propreté. J’ai toujours été très proche d’Helmut Graf dans le vestiaire, inutile de trop chercher les raisons… ». Quelques recherches sur internet m’ont permis de retrouver quelques informations plus précises. Sources Wikipedia : Les industries de roulement à billes de Schweinfurt (Kugelfischer-Georg-Schäfer, Fichtel & Sachs et Vereinigte-Kugelagerfabriken (Usines de roulements à billes réunies) ont été la cible de violentes attaques aériennes pendant la Seconde Guerre mondiale lors de l'opération Double Strike. À partir de 1945, des forces de l’US Army stationnent dans la région. De 2008 à 2013, la 172e brigade d’infanterie américaine y est casernée. Schweinfurt se trouve à l’Est de Francfort et au Nord de Nuremberg.
AU SEIN D’UNE FAMILLE D’ENSEIGNANTS, JEAN-PAUL DEVINT LOGIQUEMENT…
Edmond et Marthe Crucifix étant de Bierwart et Héron, c’est en toute logique que le petit Jean-Paul pointa le bout de son nez à Huy, à l’hôpital je suppose ?
Au fait Jean-Paul, parles-nous un peu de ta famille.
« Papa et Maman étaient enseignants tous les deux, nous sommes une famille d’enseignants. Papa est malheureusement décédé en 2002, Maman vit toujours, elle a 95 ans et elle se porte très bien. J’ai deux sœurs, Christine et Martine. Pour ma part, j’ai deux enfants, deux garçons, Christophe (44 ans) et Jean-Philippe (28 ans), et je suis aussi l’heureux grand-père d’une petite Elisa (9 ans), chez Christophe. Mon épouse s’appelle Raymonde. Voilà pour les présentations. Papa, qui était Educateur Econome à l’Ecole Moyenne, était très carré… Pour lui, c’était les études avant tout, allé chercher son diplôme et trouver un boulot, dans l’enseignement de préférence, et faire carrière ».
CONVAINCRE PAPA OU LE METTRE AU PIED DU MUR ?
Comme tous les enfants de son âge et tous les anciens « collègues » footballeurs de la même génération que nous avons rencontrés, les premiers coups de pieds dans un ballon commenceront dans la rue avec les copains. Et puis, plus tard, on est presque content d’aller à l’école pour… jouer au foot à la récréation et quand même un peu étudier…
« Comme je l’ai expliqué plus haut, poursuit Jean-Paul, mon Papa avait ses idées bien précises puisqu’au départ, il ne voulait pas que je joue au football alors que lui avait été gardien de but à Bierwart. Plus tard, il s’est lancé dans l’arbitrage et il a même été juge de touche avec Franz Geluck en Division 1. Du fait que Franz tenait un Café sur la Place de la Vaillance à Anderlecht, on le croyait Bruxellois, oui d’adoption car de naissance, il était namurois… Je me souviens, j’avais 16 ans, nous étions à Pâques, je m’étais inscrit à Eghezée (2ème Provinciale namuroise) et je m’entrainais en cachette avec Monsieur Lycops. Il a d’ailleurs continué à m’entrainer par la suite. Un jour, le gardien s’est blessé, j’ai bien été obligé de le dire à mon Père. C’est ainsi que j’ai joué mon premier match contre Floreffe. J’ai terminé la saison (1965-1966), puis je suis parti au SC Eghezée (2ème Provinciale).
LA CARRIÈRE EST LANCÉE MAIS TOUJOURS EN PARALLÈLE AVEC LE BOULOT
Jean-Paul terminera cette saison avant de partir vers le SC Eghezée où il y restera jusqu’au 30 juin 1969.
« Je suis instituteur de formation, précise JP, j’ai enseigné les mathématiques tant dans l’enseignement Secondaire que dans l’enseignement Spécialisé. J’ai enseigné dans 17 écoles différentes. L’été 1969, j’ai fait mutation comme instituteur à Jambes, c’est tout naturellement que j’ai migré vers Jambes qui avait une bonne équipe en Promotion. Forcément, avec Monsieur Materne comme Président, il était à la fois Bourgmestre et grand Patron des usines de confitures qui portent d’ailleurs toujours son nom. Je ne suis resté qu’un an à Jambes, ceci étant dû à une agréable circonstance. Chaque année, une rencontre amicale internationale était organisée entre une Sélection namuroise et une équipe du District d’Oise (France). Dans la sélection namuroise jouait un certain Raymond Corbaye, Andennais de souche, mais qui jouait à Tilleur. Du coup, je suis allé passer un test à Tilleur avec un certain Roger Agneessens. Durant les cinq années passées à Tilleur (1970-1975), j’ai connu les Divisions II et III, mais aussi deux grands entraineurs : Michel Pavic (1971-1972) et Velco Naumovic (1972-1975). Et un entraineur des gardiens de choix, Jean Nicolay (1971-1972) revenu du Daring CB comme premier gardien mais avec une blessure au genou. Si bien que lorsque Jean décida de s’arrêter, je suis devenu numéro Un… Une autre personne remarquable rencontrée aussi à Tilleur, Milou Delsaer, qui entrainait les Juniors et s’occupait aussi de la Réserve. Je m’enfilais les kilomètres : Eghezée – Tamines – Namur – Liège et retour… Je te raconte ceci entre nous, hein Lucien ! Rires… Milou devait surveiller nos temps libres, mais nous étions une bande de sorteurs, au « Corner » à Liège… Après quelques verres, Milou pédalait dans la choucroute… Mais nous avions une mentalité d’usine, quand il fallait bouloter nous étions tous présents ! ».
Finalement, Jean-Paul quitta Tilleur suite à une erreur administrative.
« En fait, précis JP, Tilleur avait oublié d’envoyer la liste des joueurs protégés à l’Union Belge. Du coup, Etienne Orens et Heinz Schonberger s’en allèrent au RC Malines et moi vers La Louvière (1975-1976), qui évoluait en Division I. Pour tout vous dire, je n’ai joué que les matchs amicaux, aucun match officiel, et ce pour deux raisons bien évidentes. D’une part, l’entraineur Jean Cornelis ne m’aimait pas, le courant ne passait pas entre nous. D’autre part, Hubert Stassart a fait une superbe saison, je ne pouvais rien revendiquer. Mais comme il était stipulé dans mon contrat que si La Louvière descendait, je pouvais m’en aller…».
DU RÊVE A LA RÉALITE, REJOINDRE ET JOUER POUR SON CLUB DE CŒUR…
S’en aller c’est très bien, encore faut-il trouver un acquéreur intéressé et pour soi-même chaussures à son pied, comme dit l’expression. Mais avant de pouvoir essayer la chaussure, la chaussette en laine va se détricoter très vite d’elle-même…
« Il faut savoir que Roger Petit avait préparé l’échange de deux joueurs entre le Standard et La Louvière. D’une part, entre Gigi Govaerts et Guy Dardenne, d’autre part, entre Helmut Graf et moi-même. Je n’ai pas hésité un seul instant. Mon rêve d’enfant se réalisait enfin, jouer au Standard, le club de mon cœur. Et dès le départ, les choses étaient pour moi claires et nettes, je venais comme la doublure de Christian Piot, un monstre, un des meilleurs gardiens du Monde avec qui j’allais non seulement avoir la chance de m’entrainer mais aussi d’apprendre le métier. Pour Roger Petit, je correspondais aux critères et au profil recherché. Naturellement, j’arrivais dans un grand club professionnel avec ses habitudes et ses obligations. Comme j’avais signé un contrat de deux ans, j’ai dû prendre un congé sans solde de deux ans au boulot. Il y avait bien entendu les entrainements journaliers mais aussi des activités obligatoires durant notre temps libre : des cours de français pour les étrangers, des cours d’assurance ou entrainer une équipe de jeunes. Personnellement, j’ai choisi les assurances. J’étais parti pour deux ans, j’y suis resté quatre ans (1976-1980). A la fin de la seconde saison, je me suis cassé le scaphoïde à quelques matchs de la fin du championnat. De second gardien, je me suis retrouvé troisième derrière Michel Preud’homme et Claudy {Rack) Dardenne. Et sans contrat professionnel, ce qui m’a permis de reprendre mon boulot à l’école non sans quelques adaptations, bien entendu. De mon passage à Sclessin, je ne garde que de bons souvenirs sauf… avec Ernst Happel ! Je me souviens, le mercredi à 08h00 du matin, entrainement avec Happel et Mathieu Bollen. Happel ne parlait pas le francais, il criait sur les joueurs en allemand… Mathieu Bollen traduisait. Mathieu m’a beaucoup aidé à passer cette période très difficile ».
RETOUR VERS LA PROVINCIALE POUR LE PLAISIR ET L’AMITIÉ…
Après cette période en bord de Meuse, Jean-Paul remontera le fleuve pour poser ses valises à l’UR Namur qui évoluait en Promotion.
« J’avais pour ainsi dire usé mes crédits professionnels, j’avais retrouvé un poste d’Econome dans l’enseignement spécial à Namur, le temps était venu de me poser. Je suis resté trois années à Namur (1980-1983), puis j’ai décidé de continuer en Provinciales et y prendre du plaisir tout en cumulant mon boulot. Je connaissais très bien Freddy Dabompré, le Président de Geer qui était aussi le Bourgmestre de la Commune. Je suis resté deux ans à Geer (1983-1985), d’abord comme joueur-entraineur et puis comme entraineur. J’y ai connu la PII, la PIII et même la PIV. En PII lors d’une rencontre contre Waremme, j’ai rencontré un certain Thierry Verjans qui, aujourd’hui, travaille à l’Académie du Standard. Le monde est petit, n’est-il pas ? Après Geer, je suis encore retourné à Eghezée, mon premier club puis entraineur des gardiens à Petit-Warêt. La boucle était bouclée….
DES SOUVENIRS A LA PELLE PAS FACILE DE FAIRE UN CHOIX
Quelques bons et/ou moins bons souvenirs, Jean-Paul nous ouvre son tiroir, là où il les avait planqués, fort heureusement pour nous, il n’avait pas égaré la clé…
« Au rayon des bons souvenirs, la montée avec Tilleur en Division II, les matchs de Coupe d’Europe avec le Standard (deux cars de supporters venaient d’Eghezée), les beaux voyages avec le Standard, et le Derby à Rocourt, le Sade de Rocourt était comble! Le moins bon, ma blessure avec le Standard, contre Boom. Un mauvais souvenir mais qui m’a facilité à prendre ma décision de reprendre mon emploi dans l’enseignement. Tu sais, j’ai toujours eu la philosophie de retirer du positif des points négatifs, ça t’aides à toujours garder le moral…».
DEUX GRANDS ENTRAINEURS QUI M’ONT LAISSÉ DES SOUVENIRS IMPÉRISSABLES
Nous arrivons lentement mais surement à la fin de notre entretien. Il ne nous manque plus de faire le choix de notre dernière question, notre fil rouge comme l’on disait dans bon nombre d’émissions-concours à la télévision. Joker ! Je passe la main…
« Et bien puisque tu m’en donnes le choix, je vais terminer en parlant de deux grands entraineurs qui ont non seulement marqué ma carrière sportive m’est qui m’ont aussi transmis des valeurs très utiles dans la vie de tous les jours.
Robert Waseige : Malgré que nous étions et que nous sommes restés très proches l’un de l’autre, il m’est impossible de l’appeler Robert ! Un homme très patient, un Maitre d’école, une personne de référence, qui sent l’âme du joueur, ce qu’il lui manque, ce qu’il faut lui donner pour s’exprimer. Et même si le joueur n’a pas la même idée que lui, il va le faire changer d’avis pour revenir dans sa direction. Robert ne va jamais à l’affrontement, il est poli, respectueux envers le joueur et plein d’humour. Une anecdote ? Pendant la théorie, je le voyais coincer avec un joueur, alors… je toussais, j’éternuais où alors je tapais les cales de mes godasses par terre…Robert, c’était une main de fer dans un gant de velours, notre contremaitre et nous les ouvriers…
Velco Naumovic : A peu de choses près, il avait les mêmes qualités que Robert Waseige. Vraiment deux personnes de référence. Quand j’étais à Tilleur, les Yougos comme on les appelait sont arrivés. Charmants, très doués techniquement et humainement parlant, nous allions au Resto tous ensembles. Velco et Robert, deux caractères différents mais que je souhaite associer dans mes meilleurs souvenirs. Velco savait galvaniser les plus faible pour les amener au niveau des plus forts, il était franc, il préconisait un excellent esprit de groupe… ».
Et bien nous voilà arrivés au bout du temps réglementaire comme on dit. Bien que la météo s’y prête, nous ne jouerons pas les prolongations, peut être tout juste les penaltys…
Allez cinq corners/un penalty et nous sommes quittent…
Je ne voudrais pas non plus terminer sans vous faire part de mon ressenti. Tout au long de notre entretien, j’ai eu comme le sentiment d’avoir en arrière-plan comme une trame de fond, comme un ange au-dessus de nos têtes nous envoyant comme un message spirituel : « Mon Père ce Héros… » …
Merci cher Jean-Paul pour ce bon moment passé en ta compagnie, une nouvelle rencontre, une nouvelle amitié…
A bientôt cher Maitre, aujourd’hui, c’était votre tour d’aller au tableau ! Examen réussi sans problème et avec passion bien entendu.
Avec toutes mes Amitiés